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Pourquoi ne peut-on pas se retenir de percer un bouton ? Alexandra Rivière-Lecart, fondatrice de l’AFCRCC, interviewée sur la dermatillomanie

L’envie de régler son compte à un bouton prend parfois le pas sur les recommandations des dermatologues.

Vous l’ignoriez ? Peut-être cela valait-il mieux ! Les vidéos de perçage de boutons, de furoncles et de points noirs –zit popping en anglais- sont légion sur Internet et comptabilisent des milliers de vues. Dans l’une d’elles, sobrement intitulée Vidéo Gore gros bouton de pu dans le dos, un jeune homme se fait percer un bouton en gros plan, faisant apparaître une éruption de pus qui dure plusieurs minutes. Difficile de s’expliquer comment une vidéo qui suscite le dégoût a pu être visionnée plus de deux millions de fois. « Lorsque je regarde ces vidéos, je suis partagée entre l’envie de me masquer les yeux pour ne pas vomir et un profond soulagement quand le bouton perce enfin », témoigne Mélanie, 17 ans. La jeune fille fréquente régulièrement le site popthatzit.com créé par un Américain, Chris Azzari, entièrement dédié au perçage de boutons.

Mathilde, 28 ans, affirme « prendre du plaisir à percer les boutons dans le dos de son compagnon », tout comme elle adore « libérer les poils incarnés de ses jambes ». Même constat chez Florian, 30 ans, qui « passe religieusement ses ongles sur les ailes de son nez sous une douche chaude pour faire sortir les points noirs ».

La dermatillomanie, un mal peu connu

Sommes-nous pour autant tous atteints de dermatillomanie, un trouble du comportement consistant à toucher, gratter et percer les boutons, croûtes et autres aspérités réelles ou perçues par le patient ? « Il nous arrive à tous de nous triturer le visage. On va considérer qu’il y a un TOC -Trouble Obsessionnel Compulsif- lorsque le geste est compulsif, répété et devient invalidant dans la vie personnelle ou professionnelle. Certains de mes patients ne sortent pas de chez eux car ils ont honte de l’état de leur visage abîmé », détaille Alexandra Rivière-Lecart, psychologue clinicienne à Paris.

« C’est une pathologie méconnue des professionnels et du grand public. La dermatillomanie n’est reconnue en France que depuis 2015 », déplore la spécialiste qui estime pourtant que plus d’un million de la population française souffre de ce trouble. « Je croule sous les demandes de consultations », affirme-t-elle.

Un « auto-toilettage » qui soulage

Dans une interview accordée au site Vice, le Dr Frederik Toates, professeur de psychologie biologique à l’Université Open au Royaume-Uni, fait le parallèle entre l’auto-mutilation et le perçage des boutons. « Des témoignages suggèrent que ce type de comportement agressif envers soi-même libère des endorphines qui jouent le rôle de récompenses. » Un sentiment de bien-être qui peut atteindre jusqu’à la jouissance. « Ces actes peuvent réduire les tensions avec la même efficacité qu’un orgasme. Tout cela fait appel à notre besoin basique d’exercer une sorte de contrôle ou de se sentir efficace. »

Pour Myriam, 36 ans, le perçage des boutons prend la forme d’un rituel millimétré. « Je commence par passer mes mains sur mon visage pour repérer les zones d’imperfections. J’utilise ensuite un tire-comédons pour extirper les points noirs, puis je m’attaque au bouton et au grain de ma peau. Je gratte, j’exfolie et pour terminer je désinfecte. » Si la jeune femme ne se définie pas comme dermatillomane -« je sais m’arrêter »- elle avoue en tirer un soulagement. « Je le fais toujours le soir. Je m’apaise en lavant ma peau. C’est mieux que de prendre un Lexomyl. »

Le bien-être ressenti par Myriam est un sentiment régulièrement abordé au cabinet d’Alexandra Rivière-Lecart. « Le triturage répété place la personne dans un état hypnotique. Elle est de plus en plus amochée, mais paradoxalement soulagée. Le processus peut prendre plusieurs heures, empêcher de dormir, jusqu’à ce que cet état second prenne fin, laissant place à la culpabilité et à un visage gonflé. »

Pour Camille, 27 ans, ce nettoyage de peau déstressant est directement associé à un souvenir d’adolescente. « Ma mère faisait la peau à mes points noirs sur le nez devant la télé. C’était douloureux et agréable à la fois. Elle s’occupait de moi comme lorsque j’étais enfant. » Un comportement qui rappelle celui des primates dont la toilette et le retrait des puces s’effectuent en groupe.

Une obsession de la peau parfaite

Alors que la dermatillomanie touche essentiellement des femmes -86% selon la psychologue clinicienne- les marques n’en finissent plus de présenter la peau parfaite comme un but à atteindre, signe de bonne santé, de vitalité et d’énergie. Cette quête s’effectue à coups de peelings agressifs et de nettoyages de peau poussés à leur paroxysme, quitte à abîmer le derme. Tout est bon pour arborer un teint éclatant, digne des défilés et d’Instagram.

« On nous fait croire qu’une peau parfaite est la normalité, reprend la psychologue clinicienne. Le recours au logiciel de retouche est devenu automatique, dans les magazines, mais également sur les réseaux sociaux. La peau doit être impeccable, sous peine de passer pour une personne négligée. »

On peut percer quand…

Pétrie de bonnes intentions, notre société hygiéniste « en fait souvent trop », affirme la dermatologue Yael Adler dans l’ouvrage Dans ma peau (éd. Solar). « Pour prendre soin de sa peau, il faut la laisser tranquille », affirme la spécialiste. Une règle difficile à respecter lorsqu’un bouton blanc apparaît sur le visage. « Hors de question d’arriver au bureau avec une éruption pareille », s’effraie Mathilde.

Pour le docteur Laurence Beille, dermatologue à Grenoble, on peut percer, mais à certaines conditions. « Quand le bouton est jaune et prêt à s’extérioriser, on peut le percer avec une aiguille et le presser précautionneusement. Quant au point noir ou comédon ouvert, il est possible de le faire sortir avec un tire-comédon ou entre deux kleenex, sans s’acharner s’il ne vient pas, car ça peut s’infecter. » Penser à désinfecter la zone avant et après chaque manipulation.

Tant que le bouton n’est pas mûr, c’est-à-dire qu’il ne présente pas de papule blanche ou purulente, mieux vaut ne pas toucher. Ce serait prendre le risque d’aggraver l’inflammation. « A ce stade, il faut appliquer un anti-inflammatoire comme du peroxyde de benzoyle ou un antibiotique local », souligne la spécialiste.

La dermatillomanie -ou acné excoriée selon les termes des dermatologues- peut conduire à des complications sévères, encore plus si les patients ne prêtent pas attention à désinfecter le bouton. « Certains manipulent le moindre point noir ou bouton, ce qui peut laisser des croûtes ou des cicatrices », décrit le Dr Beille. Plus grave, la psychologue clinicienne Alexandra Rivière-Lecart a observé des staphylocoques et septicémies à la suite de séances intensives et répétées de triturage.

Certaines marques de beauté ont commencé à déconstruire le mythe de la peau parfaite, à l’instar de Glossier qui publie régulièrement des photos de femmes souffrant d’acné sur Instagram.

Les réseaux sociaux sont devenus le porte-étendard de cette quête de transparence croissante. Le hashtag #FreeThePimple qui incite à ne plus masquer ses boutons est par exemple devenu viral depuis juin dernier. Une manière de banaliser les imperfections qui fait encore office d’exception dans le secteur, et de comprendre qu’il n’y a pas de quoi s’arracher les cheveux… ni la peau.

 

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